De retour de Wadi Hadramout et avec mon petit détour à Wadi Dohan j'arrive à Mukhalla assez tard. Je cherche les hôtels du Lonely Planet et ils sont soit pleins soit trop chers. En tournant en rond je tombe sur pil-poil ce que je cherchais: un hôtel pas trop classe avec un porche qui ferme par une grille, et sur lequel je peux parquer. La qualité des chambres passe après, la priorité c'est de trouver un parking sûr pour la bécane. Bon, les chambres sont OK, pas trop chères, il y a la clim et la douche - même avec de l'eau chaude.
Je repasse le soir à la police touristique pour me renseigner sur la situation entre Mukhalla et Aden. Un couple de motards y est passé un mois plus tôt, ils ont du attendre 2 jours qu'une escorte se forme avec un groupe de Landcruisers pour pouvoir traverser. Je trouve qu'un gars me dit que y'a pas de souci, enfin ce que je comprends en arabe. Mouais, je suis pas convaincu, il a pas l'air de savoir de quoi il parle.
Le lendemain je me lève tôt et je repasse à la police. A cette heure j'y trouve qu'un gars qui me redit la même chose: vas-y coco, la voie est libre.. bon, peut-être que c'est OK jusqu'à Bir Ali, une "station balnéaire" un peu plus loin, et que là ils me fourniront une escorte. De toute façon j'ai pas trop le choix. En fait, au premier check point près 20km je suis arrêté: le gars me demande d'attendre 10 minutes. Une heure plus tard, une bagnole de flic débarque. Bon, c'est ce que je pensais, j'ai perdu que 1h, il y a 600 km jusqu'à Aden, ça devrait le faire ("we're a hundred and sixty miles from Chicago, we've got a full tank of gazoline, a half pack of cigarettes, it's dark and we're wearing sunglasses").
Evidemment, il faut qu'ils fassent les cons avec mon casque. |
Non c'est pas des chiottes publiques, c'est le poste de police. |
Au bout d'un peu moins de 100 bornes, au milieu de nulle part, je vois 2 gars en civil au bord de la route qui me font signe de m'arrêter. Le Toyota des flics devant moi ne ralentit pas, donc je les suis comme d'hab, mais en passant devant eux ils semblaient super énervés, avec leur AK-47 en main.. là je comprends pas pourquoi mais les keufs s'arrêtent 100m plus loin, me disent d'attendre et font demi-tour pour aller discuter le bout de gras avec les 2 mecs. Je reste à distance pour pas interférer, mais la discussion s'éternise. De plus en plus de villageois débarquent, la plupart avec la kalash de rigueur à l'épaule. Ils me font signe de m'approcher donc je les rejoins.
Ok, un bon coup de gaz et ils me revoient plus.. hmm.. mais une bonne giclée de 7.62 dans le dos.. |
Je pense qu'ils voulaient m'inviter à boire une bière, enfin c'est ce que j'imaginais mais comme l'invitation est passée en arabe, c'est peut-être aussi pas tout-à-fait ça. On s'arrête sous un arbre, et on m'amène des coussins pour m'asseoir et un verre de thé. Bon, c'est pas de la 1664 mais on fera avec. Les flics arrêtent pas de parler sur leur portable, c'est bon signe, leur poste doit être au courant. Heureusement qu'ils ont une bonne couverture GSM! J'attends tranquillement sans moufter pendant qu'ils parlementent. Je me sentais un peu comme un supporter du PSG qui est invité à boire un pastis sur le Vieux Port un soir de match. Mais en plus civilisé.
Arrive une autre bande d'amateurs d'armes automatiques russes, qui veulent m'emmener chez eux, à ce que je comprends ils ont du rosé au frais, mais visiblement les premiers sont pas trop d'accord, le ton monte mais les flics restent dans leur coin sans la ramener.
Tout ça dure à peu près 2h, quand ils commencent une espèce de réunion avec une vingtaine de gars en cercle. La conclusion c'est qu'on peut se barrer. Je sais pas trop ce qu'ils ont obtenus en échange, en tous cas rien de moi. Et ce qui est sûr aussi, c'est qu'ils ont rien à voir avec AQAP, ils sont juste en conflit avec le gouvernememt, comme me confirmera le chef de la police a Sana'a quelques jours plus tard.
Je remonte en selle, les flics prennent quelques passagers et on revient sur la route. Le chemin a entretemps été barré par des pierres et de branchages, mais on fait le tour et on débarque sur la route au milieu d'un vingtaine de militaires et de flics. Un officier me sert la main et me sort un "mafi moushkileh" assorti d'un grand sourire. Pas de problème, ouais bien sûr, alors c'est pourquoi les 4 pick-ups armés de mitrailleuse lourdes, hmm ? Bref, ce que je comprends c'est qu'on doit se barrer vite fait avant que ça dégénère, donc avec 2 pick-ups militaires devant et 2 derrières, on part à 140 km/h pour rejoindre le dernier check-point à 15km d'Aden. Dernière poignée de main et je suis libre de finir en solo.
Mais tout ce bigntz ça m'a plombé mon planning et j'arrive à la nuit tombante. En comptant les arrêts et les détours, ça me fait une journée de 12h, donc j'étais un peu casé. En plus, c'est la cérémonie d'ouverture de la coupe de foot du Golfe, y'a des militaires à tous les coins de rue, mais surtout les hôtels sont pleins. Finalement je lâche 30$ pour une chambre correcte dans un endroit pas trop moisi.
Le lendemain je pars à la recherche du permis pour la route vers Sana'a. La route est nettement moins craignos, mais il faut quand même un permis. Je me fais balader d'un poste de police à l'autre jusqu'à trouver le bon endroit, mais y'a encore personne. J'en profite pour discuter avec un vendeur de thé qui a vécu en Algérie et donc parle un peu français. On évite le sujet qui fâche, la tôle qu'ils ont pris face à l'Arabie saoudite la veille. Finalement le fonctionnaire arrive, un vieux qui a été faire des études à Moscou et veut absolument me perler en russe. C'est les restes du communisme du sud Yémen. J'empoche mon sésame, mais ça m'a déjà bouffé une bonne partie de la matinée. Aden est vraiment pas terrible, et surtout chérot, donc je me barre quand même par un beau soleil et une température de 33 degrés.
La route fait que 400 km, mais elle monte par des cols super raides où les camions avancent au pas, donc je suis encore à 50 bornes de Sana'a quand la nuit tombe. On est à 2000m d'altitude et il fait un peu frisquet, d'autant plus que la nuit tombe. Un dernier col à passer et… je me chope un monstre orage. La température tombe à 8 degrés, faut que je m'arrête pour sortir mes habits de pluie que je traîne depuis la Géorgie, au moins je sais maintenant pourquoi. Je fais les derniers 30 km dans la nuit en essayant d'éviter les voitures qui roulent sans phare, les trous dans la route et les chèvres qui traversent. Pas glop. Je flippe vachement plus que le jour précédent dans le village des collectionneurs d'AK-47. A mon avis il doit y avoir chaque année beaucoup plus de morts au Yémen à cause de M. Toyota qu'à cause de M. Kalashnikov.
J'arrive donc à Sana'a de nuit pour essayer de trouver un hôtel correct pour quelques jours. Le Lonely Planet est pas très utile, j'évite la vieille ville qui est certes charmante, mais pas idéale pour planquer ma brêle. Coup de bol, je tombe sur un hôtel pas trop cher qui me laisse parquer dans le lobby.
Et donc voilà où j'en suis actuellement, la prochaine galere: décrocher les visas pour Djibouti et l'Ethiopie. Djibouti est tellement cher que j'ai l'intention de faire que passer et enquiller l'Ethiopie dans la foulée. Pas de problème pour Djibouti, j'ai même été dire bonjour au consul. Mais ce que j'ai appris, c'est que ces enfoirés d'éthiopiens ont changé leur politique de visa en début d'année, et ils ne servent que les résidents du pays! Quel que soit le pays d'ailleurs la situation est pareille à Djibouti. Donc je suis nique, à moins d'envoyer mon passeport par DHL en Suisse pour faire faire le visa et me le renvoyer, c'est un coup à 100€ de frais de transport au moins. Sauf que.. depuis la petite plaisanterie des cartouche d'encre remplies d'explosif, DHL et UPS ont arrêté leurs opérations depuis le Yémen!
J'avais eu le même problème il y 4 ans au Tadjikistan, et le consul suisse m'a aidé à débloquer la situation. Mais ici il n'y a pas d'ambassade, le pays est traité depuis Riyadh, et visiblement ils sont plus préoccupés à faire du business avec les saoudis que d'aider leurs compatriotes parce qu'il m'ont envoyer péter. Reste le consul honoraire ici à Sana'a, mais c'est pas gagné, il est pas autorisé à agir officiellement. Si ça marche pas je vais devoir penser à acheter un camion pizza et m'installer dans le coin. Ca fait déjà 10 jours que je traîne ici, je commence à connaître les restaus locaux où je me fais pas escroquer, les cafés internet corrects et les menus Windows en arabe ("non" à droite, "oui" à gauche), mais questions relationnel c'est pas top: très peu de touristes et d'expats, et encore moins de locaux qui parlent anglais. Je suis tombé par hasard sur un sud-africain un peu mytho qui prétendait travailler pour la banque mondiale, mais au moins il m'a montré le quartier juif et le coins des éthiopiens, donc je sais maintenant aussi où trouver du café correct (chez les éthiopiens, pas chez les juifs, qui de toute façon sont partis depuis longtemps).
Ah oui, et forcément comme tout le monde ici j'ai regardé le classico à la télé (piratée bien sûr), avec commentaires délirants en arabe. "Khamsah - sifr", "khamsah - sifr", .. bon, ça fait deja 2 nombres que je peux dire en arabe, je progresse.